Le coeur secret de Shikoku
On peut faire beaucoup de choses à vélo au Japon : remonter un canyon de 500 m de profondeur, gravir un col à 1133 m d'altitude un dimanche de décembre, laisser derrière soi les bagnoles et le brouillard de la vallée, écouter les oiseaux chanter des trilles entêtantes dans une langue inconnue, rencontrer des macaques qui crient à déchirer les montagnes, admirer les résilles dorées du soleil sur l'émeraude de la rivière Iya, dévaler les lacets d'une route défoncée par les dizaines de cascades qui se pressent vers l'océan, se retrouver seul pendant des heures à méditer comme un moine zen cycliste dans une interminable ascension, franchir des tunnels de cryptomères qui brouillent les satellites, prendre un train qui vous offre la même vue que le chauffeur en filant vers la mer, pénétrer le cœur secret de Shikoku, mais il est impossible de se prendre pour Indiana Jones. Le héros de Spielberg n'aurait su que faire de ma bécane qui est pourtant taillée pour le Tour de France. J'ai essayé de traverser le pont de lianes qui enjambe la rivière Iya et ce fut la déconfiture complète. Impossible de le franchir même le vélo à l'épaule car il faut tenir les parapets de lianes des deux mains. Impossible également de s'aventurer avec ces chaussures de vélo qui font clac-clac et vous donnent l'air d'un canard. En chaussettes non plus, ça glisse. Alors j'étais heureux d'avoir emporté des baskets dans ma sacoche, j'aurais eu quand même l'air con d'échouer là où même les mémés japonaises, entraînées par des années à piétiner en socques de bois dans leurs kimonos, réussissent les doigts dans le nez, alors que je venais de me farcir 75 bornes et 1500 m de d+ pour arriver précisément devant l'entrée de la fameuse passerelle.