Drive my bike
Une journée parfaite au Japon, ça commence par un réveil sur un futon et des tatamis alors que le soleil se lève sur la mer intérieure qui aura clapoté toute la nuit. Petit déjeuner de thé vert et de ramen aux fruits de mer, à genoux sous le kotatsu face à la mer qui emplit tout l'espace de la véranda. Le vélo harnaché, c'est parti pour le Tobishima kaido, chemin à travers le chapelet d'îles qui s'égrainent entre Honshu et Shikoku, direction Mitarai où Hamaguchi a tourné Drive my car et où un musée célébrerait le passage d'Ino Tadataka lors de son enquête sur la mer intérieure en 1806. Édouard Glissant disait que les archipels sont incontournables : Ino l'a appris à ses dépends puisqu'il n'a pas pu finir le tour du Japon ; ses disciples poursuivront son oeuvre. Le musée conserve le chapeau noir dont l'arpenteur se coiffait pour ses relevés topographiques sous le soleil méditerranéen de Seto Naikai. On y trouve aussi un kakémono qui décrit l'enquête ardue de Mitarai. Au restaurant face à la mer, Ame, petite femme énergique qui a concocté un merveilleux plat d'anguilles, m'apprend que je me trouve devant le paysage de l'affiche du film alors je fais la photo avec mon vélo rouge et noir à la place de la Saab rouge. Puis Ame m'emmène dans un ryokan où Ino aurait passé 3 nuits. Le proprio, Steve, attend les touristes mais je suis le seul de la journée. Je ne me lasse pas de ces virées à vélo sur la mer intérieure et je commence à comprendre l'ivresse des navigateurs : on ne s'ennuie jamais car le panorama change à chaque virage, il y a toujours une nouvelle île qui surgit à l'horizon, un nouveau pont, un nouveau sommet - soudain c'est Shikoku, majestueux sous les nuages. Là on dirait que les îles flottent car un pan de ciel s'est glissé sous l'horizon, magie des fata morgana. Puis c'est une bourrasque glaciale qui vous rappelle le mistral, un tourbillon blanc, des sakuras en fleurs qui rosissent le ciel tels des anges de Rubens, une brève ondée qui vous arrose au sortir d'un tunnel, et la journée se termine sur les quais d'une gare où vous croyez sentir la vibration du Shinkansen : non ce n'est que le poisson-chat qui se réveille. Magnitude 5.