Pédaler de nuit sur la mer
Pédaler de nuit sur la mer intérieure : c'est ce qui t'arrive lorsque tu t'es levé un peu tard, que tu t'es rendu compte que ton dérailleur et ton forfait étaient kaputt après avoir harnaché ta monture et dévalé la piste de bobsleigh de la villa Kujoyama, ce qui t'a valu de mouliner à l'aveuglette dans Kyoto à la recherche d'une carte sim et d'un réparateur de vélo. Le Shinkansen pour Onomichi (préfecture d'Hiroshima) arrivait à 16h30 qui est ici l'heure du crépusculaire et donc tu n'auras vu que le premier détroit, traversé sur un bac à 50 yens (30 centimes), avant de faire les 30 km suivants dans la nuit, lampe torche empanachée sur le casque, éclairant les contours de l'archipel comme dans une estampe à l'encre monochrome, les cimes des îles plus sombres que le ciel se devinant à l'horizon, les grands piliers de béton des viaducs genre Golden Gate clignotant dans l'obscurité, la mer reflétant parfois les lueurs d'un port anonyme, des chalutiers fendant l'écume 80 mètres sous tes roues à te donner le vertige, les enseignes des Lawson et des Family Mart balisant le retour à la terre ferme après l'apesanteur des viaducs, les villages déserts sentant l'odeur de la lessive et du linge frais, ou du gaz et du charbon, les insectes grésillant dans la nuit de décembre anormalement tiède, avant d'arriver à bon port après avoir traversé un deuxième pont et longé un énième bras de mer : Setoda, île d'Ikuchijima, ryokan avec vue sur mer, ce qui change de la villa, où la vue est soit sur le mur d'en face, soit sur la falaise. Dîner dans une petite gargote où l'on s'assied en tailleur sur des coussins derrière son barbecue et où l'on est bien obligé d'utiliser les 3 mots de japonais qu'on connaît pour se faire entendre d'un petit papy qui regarde des concours de chansons d'amour en chantonnant la bluette à son tour.