Le rêve : devenir un écrivain japonais
Julien Gracq disait quelque part qu'il y a des écrivains myopes (attentifs aux détails) et des écrivains presbytes (attentifs aux grands panoramas). Le Japon réussit ce miracle de rendre n'importe quel écrivain, même le plus presbyte, tout à fait myope. On ne s'intéresse plus qu'aux détails. On redevient un enfant. Pour parler comme Claudel, on se rend compte que notre oeil est aussi capable d'écouter. On devient attentif à ce que Perec, ce grand écrivain japonais, appelait l'infra-ordinaire. Et grâce à cette écoute attentive de l'infra-ordinaire, la routine de chaque jour est parsemée de milliers de petites illuminations, de petites extases géographiques, de petits satoris. Il faut dire qu'on a le luxe de vivre dans un pays où règne la paix sociale, où personne ne s'énerve, où l'on pourrait lécher les trottoirs, où il n'y a pas de sirènes, pas de cris, pas de klaxons, pas d'odeur d'urine ou de poubelles qui traînent, où la police est inexistante, sauf pour vous écrire que vous avez perdu vos papiers et qu'on les a retrouvés, où, quinze jours après votre arrivée, vous ne savez toujours pas faire la différence entre un flic, tant ils sont débonnaires et mal fagotés, et un travailleur sur un chantier. Sans parler de tant d'autres minuscules détails comme le fameux petit jet dont Wim Wenders, de retour en Europe, dit sur France culture (sic), qu'il ne saura plus jamais s'en passer. Bref vous réalisez que vous vivez des jours presque parfaits.