nous la referons l'Europe, nous la referons du dehors, puisqu'elle pourrit en son cœur, puisqu'elle pourrit à l'intérieur
quand tu viens de là (à gauche) et que tu arrives ici (à droite) tu te dis que tu as fait un grand pas vers la vie mais peut-être pas ton pays.
à dix-sept ans j'ai quitté le bled crotté de mon enfance (à gauche) et décidé de ne plus jamais y remettre les pieds parce qu'un électeur sur 4 votait Le Pen, se déclarait mon ennemi et voulait ma mort
aujourd'hui j'ai trente-trois ans, je vis en banlieue parisienne (à droite) où je respire un peu mieux, où le fond de l'air est moins brun mais c'est la France entière qui s'est réduite aux dimensions d'un village étriqué, qui me rappelle mon enfance étouffée et qu'il me faudra quitter tôt ou tard car un électeur sur 4 vote Le Pen, se déclare mon ennemi et veut ma mort...
à tous les Français qui croient que la France n'a jamais fait l'expérience de l'extrême-droite, je répondrai que la France, qui a inventé l'antisémitisme, le racisme et le fascisme (Georges Sorel), a fait l'expérience de l'extrême-droite avec Adolphe Thiers, avec l'affaire Dreyfus, avec Laval, avec Pétain, Vichy, la milice et les camps ; je répondrai que des villes entières, en France (et je ne parle pas des villages pourris comme celui de mon enfance, avec leurs maires divers droite ou sans étiquette qui se reconnaissent dans les idées du FN) font tous les jours l'expérience de l'extrême-droite, que des hommes et des femmes font cette expérience à leurs corps défendant, baissant les yeux, courbant l'échine, tous les jours, dans la rue, dans le métro, sous ces yeux qui leur rappellent en un éclair qu'ils ne sont pas "de souche"... ; je répondrai enfin que la veille du vote FN, des hommes étaient roués de coups à Créteil parce qu'ils portaient une kipa, tandis qu'à quelques centaines de kilomètres de là, dans la capitale de l'Europe, on mitraillait d'autres personnes qui sortaient d'un musée juif, tandis qu'un député borgne, sortant et réélu triomphalement se livrait à un petit massacre imaginaire en appelant au secours "Monseigneur Ebola" pour qu'il répande sur l'Afrique une nouvelle Shoah...
je fais partie de ceux qui ont voté pour un candidat qui avait promis d'ouvrir les élections à toutes celles et à tous ceux, né(e)s à l'étranger qui vivent depuis des années en France, qui travaillent pour la France, qui élèvent leurs enfants naturalisés français en France, qui acceptent les boulots que la plupart des Français refusent,
alors que n'importe quel Européen résidant en France peut aujourd'hui voter pour les députés français d'un parlement de cristal, alors que n'importe quel Européen peut aujourd'hui franchir la ligne des glaces qui érige un rempart contre ceux que nous désignons du doigt comme des barbares, des millions d'hommes et de femmes vivent, travaillent, meurent en France, captifs d'une Europe qui ne leur reconnaît aucun droit, aucune citoyenneté, qui leur interdit de voter pour des conseillers municipaux, leur interdit de voter pour ces députés qui ont décidé de verrouiller les frontières et de laisser mourir à nos portes, avec des milliers d'hommes et de femmes, les idées qui ont fait l'Europe...
alors aux abstentionnistes qui ont décidé de nous livrer aux 25% de la vague bleue marine, alors aux 47% d'électeurs qui se déclarent "pas vraiment déçus" si Marine Le Pen se retrouvait en tête, je dis : vous leur avez déjà donné vos plus sales boulots et vos plus sales fringues, donnez-leur vos plus sales papiers, donnez leur ces passeports et ces cartes d'identités que vous avez conchiées de votre irresponsabilité, nous la referons l'Europe, nous la referons du dehors, puisqu'elle pourrit en son coeur, puisqu'elle pourrit à l'intérieur ; nous referons l'Europe avec ceux d'Istanbul et de Casablanca, avec ceux d'Alger et de Carthage, avec ceux de Kiev et de Sarajevo, avec tous ceux qui sont prêts à mourir pour les idées que vous avez oubliées, vous les vrais Barbares, vous les aveugles et les sourds, vous les taupes, vous les vers, les poules mouillées et les autruches qui croyez en la Barbarie...