Les cerfs-volants du roman
Fuji San avait les épaules dans les nuages ce matin mais c'est une grande éclaircie qui m'attendait à Tokyo cette après-midi. Après des semaines de recherches infructueuses, le mystère entourant les cartes Ino se dévoile peu à peu. Pour la première fois j'ai pu enfin tenir entre les mains une de ces cartes, grâce à Masako San de la Villa Kujoyama, qui était parvenue, au bout d'une épuisante discussion téléphonique ponctuée de sumimasen et d'onegai shimasu, à réserver pour moi la carte de Shikoku - copie manuscrite de l'ère Meïji, toutes les autres cartes étant (paraît-il) perdues depuis le grand incendie qui ravagea le palais impérial à la fin du 19e siècle. La carte m'attendait, donc, à la Bibliothèque de la Diète, déployée sur un bureau, dans le département des matériaux rares et précieux. Chaque fois que je me retrouve face à ce genre de cartes manuscrites - qui sont pour moi les cerfs-volants du roman - je retourne en enfance et je revis les heures passées à dessiner à plat-ventre sur la moquette de ma chambre les contours de la Zyntarie. Les craquelures du papier semblaient répéter les craquelures de la croûte terrestre, les plis de la carte prolonger les plissements du relief. Une glorieuse rose des vents indiquait le sud en haut et la légende se lisait de droite à gauche. Un fin liseré rouge entourait la silhouette caprine de l'île de Shodoshima, un fin liseré rouge semblable à celui que j'avais moi-même tracé à vélo sur Strava. Mais la plus belle surprise m'attendait dans un immeuble de Meguro où je devais rencontrer 4 membres de la Société Ino Tadataka. La réunion dura 3h. 3h très japonaises pendant lesquelles c'est toute l'intrigue de mon roman qui a pris enfin forme, comme si ces 4 passionnés m'avaient attendu pendant tant d'années pour me livrer leurs secrets et pour que quelqu'un l'écrive enfin, le roman français sur le très romanesque Ino, qui aurait un lien - je n'en dirai pas plus - avec le non moins romanesque Jules Brunet, l'homme qui inspira "the last samouraï".... Affaire à suivre...