Oh c'est haut Tokyo !
De Tokyo où j'étais de passage il y a dix jours, je conserve l'image d'une ville étonnamment plus agréable que ce que j'imaginais. Il faut dire que lorsque vous interrogez un Kyotoïte sur l'actuelle capitale, il ne manquera pas de vous dépeindre l'enfer, une ville tunnel où vous passerez vos journées enfermé dans le métro. Je m'attendais donc à retrouver la fureur de Paris, NY, Londres, Istanbul, Alexandrie, quelques villes monstres où j'ai traîné mes guêtres. Au lieu de quoi, ce qui m'a frappé dès le début c'est le calme, la sensation de glisser, d'être invisible dans une ville verticale et vitrée. Les gratte-ciel de Tokyo ne m'ont pas fait l'effet des icebergs de NY, d'une part parce que le trafic à leur pied n'a rien du boucan de Manhatran, d'autre part parce qu'ils m'ont paru plus espacés, comme s'il y avait toujours des interstices, la coulée d'une rivière - ici la Kandagawa -, la verdure d'un sanctuaire - là Asakusa - l'étendue d'un parc ou d'un étang - tel que celui de Shinobazu, où les feuilles de lotus, gramophones géants, se dressent hors de l'eau sur leurs tiges roussies par l'automne. D'un quartier à l'autre tout change à Tokyo qui a été rasée deux fois en l'espace d'un siècle et qui n'est qu'une juxtaposition de villes sans grand rapport entre elles : Fukagawa fait penser à Berlin ou Amsterdam, c'est un quadrillage de canaux et de rues que bordent des maisons basses ; Nagata, le quartier de la Diète, avec ses grandes avenues froides et désertes la nuit, où s'engouffre le vent d'hiver, c'est un peu Neuilly où le 16e. Ueno, et plus particulièrement le marché d'Ameyoko où l'on vend de tout, des champignons de toutes les formes aux beignets de poulpe qu'une cuisinière tricote à l'aide de 2 baguettes, c'est déjà la Chine. Shimo-Kitazawa, quartier branché, m'a replongé, avec ses ruelles bordées de kebab et de friperies, dans ma vie stambouliote de jadis. C'est peut-être ça une ville-monde : une ville où l'on peut passer d'un monde à l'autre, d'une époque de sa vie à l'autre, une ville qui contient tous les possibles du monde. Je ne suis pas sûr de pouvoir y vivre mais Tokyo est peut-être moins dépaysante pour un étranger que Kyoto....