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l'araignée givrée
23 septembre 2014

L’archipel grignoté : tous les tunnels ne mènent pas à Gaza

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Il y a longtemps que les îles désertes n’existent plus sur notre globe. Dans quelque oasis du désert que vous alliez, vous trouverez un indigène qui y réside depuis de temps immémoriaux et qui ne souhaite pas y voir s’établir une majorité d’étrangers, ni même un quelconque supplément de population étrangère.

Vladimir Zeev Jabotinsky.

Jérusalem vous place précisément dans une étrange relation au temps. C’est à ma connaissance la seule ville qui vous donne le sentiment de n’exister que dans la longue durée, ce qui, en langage palestinien, se traduit par la longue patience.

Elias Sanbar.

 

Aujourd’hui on me rapporte les propos d’un officier israélien de passage au couvent pendant le conflit pour une visite de courtoisie. L’homme se voulait rassurant : ce ne sont pas les roquettes du Hamas qu’il faudrait craindre, selon lui ; la catastrophe ne viendra pas du ciel mais de la terre. Car un jour surviendra le Big One, la terre s’ouvrira, les murs et le sol trembleront, il vous faudra vous réfugier au plus vite sous une table pour éviter que le plafond ne vous tombe sur la tête. Même le Saint Sépulcre ne résistera pas qui a déjà été bien affecté par le dernier grand séisme en 1927. Les sismologues prédisent qu’il doit y en avoir un grand tous les cent ans. 1927, 2014. Vous savez compter ? C’est peut-être ce tremblement de terre qui réglera tous les problèmes.

Il faut dire que la Terre Sainte est un vrai gruyère. Et l’on peut craindre en effet qu’elle s’effrite un jour tant le sous-sol a été creusé, drainé, fouillé, trifouillé, exploré et exploité dans ses moindres recoins.

Car en Israël et en Palestine, dans cette drôle de maison trop étroite pour deux peuples et onze millions d’habitants, on ne s’est pas contenté de construire le mur et le plafond : depuis 1948, entre la Mer Morte et le Jourdain, le sous-sol a aussi été bien investi, on a creusé des tunnels et des abris souterrains, foré des puits, détourné des eaux, et à défaut de pouvoir élargir la maison, on a agrandi la cave.

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Si vous avez suivi les informations cet été, vous avez forcément entendu parler des fameux tunnels de Gaza, qui serviraient au Hamas à s’approvisionner en armes, via le Sinaï, devenu suite aux révolutions arabes immense arsenal en plein air. Mais tous les tunnels ne mènent pas à Gaza. La plupart d’entre eux se situent autour de Jérusalem. Et si la terre tremble un jour pour de bon, si demain s’ébranle le fragile statu quo qui garantit la cohabitation des Hiérosolomytains de toutes croyances et de toutes tendances, les tunnels n’y seront peut-être pas pour rien. 

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Je ne reviendrai pas sur la question de l’eau : on sait comment l’aquifère cisjordanien a été capté, détourné, accaparé par Israël, qui revend cette eau potable aux Palestiniens. Ce qu’on sait moins, c’est que les fouilles archéologiques participent depuis longtemps à cette grande bataille souterraine.

Les tunnels ne sont pas une chose nouvelle à Jérusalem. Voici une ville qui manque d’eau en permanence, voici une ville où l’eau est la denrée la plus rare qui soit, voici une ville qui a toujours soif. Et pourtant il se trouve un lieu, à Jérusalem, où l’on peut marcher toute l’année avec de l’eau jusqu’à mi-jambe sur un parcours de quarante minutes. De la source du Gihon – actuellement la seule source pérenne de l’agglomération – au bassin de Siloé, un sinueux tunnel attribué au roi Ezéchias (727-699 av. J-C) fut creusé dans le roc sur une longueur de 533 mètres. C’est aujourd’hui l’une des plus grandes attractions touristiques de la ville sainte. Les visiteurs munis de lampes de poche font trempette à la queue leu leu en chantant des hymnes religieux pour dompter la peur de trébucher, de se cogner, de déraper et de se retrouver les quatre fers en l’air et le cul mouillé.  

À quelques mètres de là vers le nord, un autre tunnel, encore plus célèbre, attire tout autant la foule de pèlerins et de visiteurs : c’est le tunnel du mur des lamentations qui permet d’accéder à la « partie cachée » du mur occidental dont seuls 55 m sur les 488 m sont aujourd’hui à l’air libre. Les deux tunnels sont actuellement en cours de raccordement et les fouilles se poursuivent le long du Tyropéon jusqu’à la porte de Damas, si bien que le dôme du Rocher sera bientôt comme en lévitation et la vieille ville privée de ses fondations.

Le problème, avec les fouilles archéologiques, est à peu près le même qu’avec la Bible ou le Coran : on leur fait toujours dire ce qu’on veut. Les vieilles pierres ne mentent pas moins que les vieux livres.

Car un vieux caillou – tout antique qu’il soit – ne vaut rien sans un livre qui vienne nous dire qui l’a planté là et pourquoi. Or la Torah dispose d’un net avantage sur ses imitations tardives : car sa grande invention est de faire remonter l’Histoire à la création du monde, au grand tohu-bohu du Big Bang divin. Un sacré temps d’avance sur ceux qui datent leur ère de l’immaculée conception ou du cheval blanc de Mahomet.  

Si j’ai découvert dimanche matin ces tunnels, cette partie immergée de l’iceberg Jérusalem, c’est que je m’étais mis en quête, en toute candeur, de la plus vieille pierre de la ville sainte. C’était oublier la leçon de Claudio Magris : la plus vieille pierre de Jérusalem est tout aussi introuvable que la véritable source du Danube.

Toujours est-il que je me suis rendu au sud-ouest de la vieille ville, en bas de la porte des immondices (anciennement des Maghrébins !), où se trouveraient des murs cyclopéens datant du chalcolithique qui prouvent que les lieux auraient été occupés avant même l’âge du bronze. Mais ce ne sont évidement pas ces vestiges-là qui sont mis en avant par les fouilles : les panneaux, les prospectus, les colifichets pour touristes attirent l’attention du visiteur sur les ruines de la cité de David, indiquant l’emplacement probable de son palais, du quartier royal et de la muraille de Néhémie.

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Ce n’est qu’en sortant du tunnel que je découvre le village au-dessous duquel j’ai marché pendant près d’une heure. Le village arabe de Silwan est depuis 1967 un lieu de tensions importantes à Jérusalem, un village d’irréductibles gaulois qui résistent à l’avancée du front pionnier. Les pierres ont fusé là-bas ces derniers temps sur les 4x4 grillagées de l’occupant et la police y a fait sa petite razzia d’enfants à interroger. Comme l’encerclement n’est pas possible, comme le village ne peut être conquis ni par la terre ni par les airs, l’envahisseur a décidé depuis 2004 de se frayer un chemin par le sous-sol. En juin 2010, vingt-deux maisons ont été détruites dans le but de construire un jardin archéologique, « la vallée du Roi David ». Aujourd’hui, menées par la compagnie Elad, les fouilles se poursuivent sous le village ; les habitants ne savent pas qui creuse, pourquoi, jusqu’où, et dans quelle mesure leurs maisons sont menacées de s’écrouler ; les travaux entretiennent les fantasmes et chez certains, la peur est réel qu’un colon surgisse un jour du sous-sol et s’introduise dans la salle de bains, réclamant la terre de ses ancêtres.

Sur les prospectus touristiques, ont ne dit rien à propos du village arabe ; on y apprend seulement que des Juifs yéménites seraient venus s’y installer en 1882 ; mal accueillis par les Arabes, dans une détresse et une pauvreté extrême, ils auraient été chassés par les émeutes de 1936.   

C’est l’éternelle question du premier arrivé et du droit au retour qui refait surface ici. Plus les Israéliens creusent la Terre promise, plus ils fouillent le sol de Judée et de Samarie, plus ils détruisent des maisons et en délogent les habitants pour authentifier que les Hébreux leurs ancêtres étaient les premiers arrivés sur cette terre, plus ils mettent à jour des strates plus anciennes qui prouvent que Jérusalem (Urusalim ou Shalem selon les premières sources qui remonteraient au XIXe s. avant notre ère) était habitée avant David et avant Josué, que les Cananéens, peuple sémitique non-juif et polythéiste avaient occupé la place avant les fils d’Israël.

L’histoire contemporaine d’Israël et de la Palestine est celle d’une grande inversion : la plupart des vestiges hébreux du temps du royaume de David et de Salomon sont concentrés dans l’actuelle Cisjordanie et les strates les plus anciennes en Israël sont cananéennes : l’argument archéologique du premier arrivé sur la terre, de l’aborigène absolu ne marche pas ou alors il faudrait procéder à un échange de territoires. Voici toute l’ironie de l’histoire : le plan de partage de 1947 proposait aux deux peuples d’occuper chacun la terre des ancêtres de l’autre : comme dans la Vie est un long fleuve tranquille, l’ONU a joué aux apprentis sorciers en confiant la Palestine aux « fils d’Israël » et la Judée-Samarie aux fils de Canaan. 

Il y aurait à ce propos une belle comédie d’histoire-fiction à écrire mais je n’ai pas assez d’humour pour la mener jusqu’au bout. Rejouer le jour du plan de partage de l’ONU, en version inversée. Les appuis militaires, diplomatiques et idéologiques sont inversés aussi : l’URSS du côté des Juifs, les Etats-Unis du côté des Arabes ; c’est un Etat socialiste, d’obédience marxiste-léniniste, qui est créé en Judée-Samarie et à Gaza par les Sionistes. Staline, transformé en dirigeant judéophile, soutient l’immigration juive en Terre Sainte et Truman appuie la cause palestinienne. Le dénouement aurait-il été joué d’avance ?  Israël pourrait-il proposer aux touristes en visite en Terre Sainte ces drôles de cartes des parcs nationaux et des antiquités nationales sur lesquels toutes les frontières sont effacées, où les villes de Judée-Samarie (le nom Cisjordanie n’apparaît jamais) sont des taches grises sans toponymes ?

Chez les Juifs israéliens, la mémoire morte occulte la mémoire vive ; chez les Palestiniens, c’est la mémoire vive qui empêche la mémoire morte.

Il faudra un jour apprendre à renoncer au droit au retour, d’un côté comme de l’autre. Ce qui veut dire aussi renoncer au mythe de l’autochtone et de l’aborigène absolu : la Torah, de ce point de vue, est sans ambiguïté : Abraham, le premier des patriarches, est un immigré, un exilé, un réfugié qui viendrait d’Ur, en Chaldée ; la Terre promise ne lui est jamais offerte sur un plateau d’argent mais sa descendance doit la conquérir par les armes et par la foi ; toute la suite n’est qu’un long récit de conquêtes et d’exterminations entrecoupées de songes, de miracles et de prophéties.

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