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l'araignée givrée
21 février 2024

Hokusaï & Ino

Ah ! Si seulement j'étais un écrivain du XIXe s, je pourrais commencer ainsi mon roman : "Voici l'homme qui aura parcouru 40 000 km à pied sans jamais quitter son pays natal ; voici le savant autodidacte qui a donné à l'archipel son vrai visage ; voici enfin le passionné, l'affolé de la boussole, qui n'a cessé d'arpenter pendant 17 ans les côtes du Japon pour faire entrer sur les atlas la forme entière de son pays en 225 cartes qui couvriraient la surface d'un gymnase." Mais hélas je ne suis pas un Goncourt louant l'art de Hokusaï à l'apogée du japonisme. Non, je suis un auteur du XXIe s qui doit se contenter des miettes de l'histoire, un homme pour qui a volé en éclat la continuité des temps historiques et je dois retracer cette légende par bribes, sans grandiloquence mais sans désenchantement, en tâchant de comprendre ce qui m'émeut, moi, Européen de 2024, dans la geste héroïque de l'arpenteur japonais avec un grand A, moi qui ne suis qu'un arpenteur avec un petit a, un GPS et une petite reine, tentant de saisir en l'espace de 4 mois qqch de ce pays tout en longueur qui s'étire sur 20 degrés de latitude, qqch de ce peuple de 125 millions d'habitants, qqch de cette civilisation vieille de 2600 ans. En 1818, au moment où Hokusaï achève son Manga, où il fait entrer, selon le mot de Goncourt, l'humanité entière de son pays, Ino s'éteint après avoir consacré les 17 dernières années de sa vie à cartographier l'archipel à coups de points d'aiguille. Cherchant à visualiser qui étaient les êtres, hommes, femmes, enfants, vieillards, artisans, paysans, samouraïs, pêcheurs, geishas, sumos, daimyos, voyageurs, qu'Ino croisait sur son chemin, je les retrouve en lisant cette Encyclopédie de l'archipel en 3 couleurs (noir, rose, blanc) qui fait du dessin un moyen de connaissance du monde. Tout le Japon d'Edo est là, mais aussi le Japon éternel, celui des cascades et des falaises, des neiges et des volcans, des kamis et des torii, des nuages et des vapeurs, des séismes et des tsunamis. Car Hokusaï, qui changeait tous les mois de logement, qui était la persévérance même, aura passé autant de temps qu'Ino sur la route. Et s'ils s'étaient rencontrés ?

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