Les Méditerranéennes p. 94 - "Les femmes, en revanche n'avaient pas de livret militaire..."
La déchirure de cette photo, c'est selon moi la plus belle illustration de ce que j'ai tenté de réparer dans Les Méditerranéennes. Je ne sais pas comment s'appelle cette jeune femme au visage déchiré. Je sais juste que c'était une amie ou une cousine (ils étaient tous cousins) de mon arrière-grand-mère, Mémé Zette, de son vrai nom Rosette Bellara Bensaïd (1892-1956) qui pose ici avec sur ses genoux mon grand-oncle Eugène que j'ai connu et ce grand-père que je n'ai pas connu et qui était déjà l'objet d'une première quête, dans Kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu, mon deuxième roman.
"Les femmes, en revanche, n’avaient pas de livret militaire. En l’absence de photo, rien ne permettait de visualiser leur visage, de déduire leur degré d’instruction, d’imaginer leur caractère, leurs signes distinctifs, leurs maladies, alors que l’on savait tout de l’évolution de la bronchite chronique, de l’entérocolite et des douleurs lombaires de Ruben Attali, qui reviendrait de la guerre avec une petite moustache noire à la Charlie Chaplin et des poumons gazés à soixante-dix pour cent. Les femmes apparaissaient de temps à autre dans les archives d’outre-mer, silhouettes flottantes, insignifiantes, réduites souvent à leur prénom et au nom de leur père, au gré des actes de naissance, de mariage ou de décès ; à la case profession, il arrivait parfois que l’officier d’état civil eût renseigné, de sa belle encre noire, ménagère ou domestique ; mais la plupart du temps la case était vide, ou alors le fonctionnaire avait écrit : sans.", Les Méditerranéennes, Stock, 2022, p. 94