Hase-Dera sur les traces de Nicolas Bouvier
Il suffisait que Sylvain Cardonnel me raconte l'histoire de la photo de Nicolas Bouvier entouré de bonzes au temple Hase-Dera qui fait la couverture de la biographie de François Laut pour que j'enfourche mon vélo et fonce plein sud. Quoique le paysage ne fût pas très excitant jusqu'à Sakurai, sauf les derniers kilomètres tout schuss dans les gorges du Yamato, je n'ai pas regretté cette virée de 110 km et 1000 m de dénivelé à travers les montagnes de Nara lorsque je me suis retrouvé devant la porte monumentale et son envolée de 399 marches abritées par une élégante galerie en bois. J'étais le seul visiteur à me pointer à ce moment-là et javoue que j'éprouvais la même terreur que l'arpenteur de Kafka au pied de son château. Que m'arriverait-il là-haut ? Pourquoi donc avoir fait ce si long chemin depuis Kyoto ? Est-ce qu'un sage à longue barbe blanche m'attendait là-haut pour m'apprendre les techniques secrètes d'un art martial inconnu ? Face à l'immense kannon à 11 faces de 10 m de haut, réplique ancienne du premier du genre au Japon (le temple remonte à l'an 686), un bonze avisant ma casaque rouge qui détonne dans le paysage d'hiver et ne respecte pas le violet traditionnel des kesa, tandis que mes chaussures font clic-clac comme des soques, me demande d'où je viens. Mes 110 bornes à vélo depuis Kyoto ne l'impressionnent pas. Lui arrive de Nagoya, il a fait 140 km.... en Toyota ! Eh oui, nous ne sommes plus en 1956, quand Nicolas Bouvier, après la descente du Tokaido (bon, il n'a pas tout fait à pied) se pointait ici avec un certain Alain Villeminot et, s'étant assoupi sur le balcon en bois du hondo entendait un jeune bonze lui murmurer le dernier haïku de Basho : "Tabi ni yande" (en voyage mais souffrant) "Yume wa" (mon rêve) "kareno o kakemeguro" (erre sur une plaine déserte). Mon bonze a tout de même un sourire rayonnant, une brave tête à la Jean Lebrun et je sens qu'il ferait un bon compagnon. Il refuse que je le prenne en photo. Alors je trace mon chemin vers Asuka et j'arrive devant le kofun de Takamatsuzuka alors que le paravent mauve du mont Kongo s'imprime très net en arrière-plan dans le soleil couchant.