L'archipel remue
Ça tangue un peu à Kyoto depuis hier. Vers 15h30, j'étais à l'EFEO - charmante bâtisse tout en bois - où je venais d'avoir une discussion passionnante avec son directeur Christophe Marquet à propos d'Ino Tadataka et de Siebold, lorsque, descendu au rdc pour fouiner dans la bibliothèque, j'ai entendu une sorte de roulement de tambour et senti vaciller toutes les cloisons. Je me suis cramponné au bureau de Mai, la bibliothécaire, et nous nous sommes regardés, hagards, stupéfaits, dans le blanc des yeux, pendant quelques secondes. J'ai senti qu'elle comprenait lorsque, incapable d'articuler le moindre son, j'ai fait un écart vers la gauche à la recherche d'un abri. Une grimace s'est alors dessinée sur son visage, elle a agité la main droite et j'ai compris que mon réflexe n'était pas le bon en voyant les livres vaciller sur leurs étagères. Alors, je me suis recramponné à son bureau et j'ai tenté de lire dans ses yeux l'évolution de la situation. Les étagères se sont calmées, le bureau est redevenu une surface étale et Mai a souri et même émis un petit rire de soulagement : c'était terminé. Tout cela bien sûr a duré quelques secondes, mais je n'avais jamais su qu'une seconde pouvait être aussi longue. Je n'arrivais toujours pas à parler, j'ai grimpé à l'étage dans mes pantoufles et fait mine de reprendre mes recherches. Le directeur est sorti de son bureau, impassible, et m'a délivré l'information : Magnitude 4,3, épicentre au sud de Kyoto, imaginez alors un peu ce que ça donne, 7, vu que c'est exponentiel. La journée s'est poursuivie sans autre événement notable et je n'y ai pas repensé jusqu'à ce matin, où le béton de la villa a tremblé un instant alors que j'étais face à mon écran, tel un paquebot qui fait une embardée. Les séismes viennent nous rappeler que nous sommes en mouvement. Nous nous croyons immobiles, mais nous tournons, et la Terre remue sous nos pieds car elle est vivante, la Terre, elle ne tourne pas seulement autour de son axe et du soleil, elle se métamorphose en permanence, sa peau se tend et se détend. Un archipel n'est pas seulement incontournable, il est infixable, on ne peut le figer, il remue nuit et jour.