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l'araignée givrée
15 août 2011

l'îlot indigo

grande ile bleue

premier essai d'aquarelle au couteau, août 2011

Histoire d'un pari :

"ça manque d'épure" : voici le mot d'une mère à son fils qui met tout en branle : "ça manque d'épure", autrement dit tes aquarelles, mon fils, sont trop léchées, trop détaillées, tu ne changes rien au genre, tu n'apportes rien de nouveau ; elle revenait de l'expo Nicolas de Staël, à Martigny, en Suisse, à la fondation Gianadda, et elle qui ne jurait que par de Staël, avait trouvé son bonheur là-bas, dans les couleurs portées au couteau, les couleurs grattées, les couleurs sculptées, maçonnées, à la truelle, à la brosse... Dans les formes épurées d'un écorché-vif, qui se moquait bien de la distinction absurde entre un art dit abstrait et un art dit figuratif...

et voilà ce que je trouvais à lui rétorquer : "tu m'énerves, avec ton épure, ton de Staël... Tu ne te rends pas compte que ce n'est pas une question de génie, mais de travail, que c'est une question d'outillage et de technique... ce que tu aimes, ton épure, c'est fait au couteau... tu vas voir, je vais faire de l'aquarelle au couteau !" Elle : "chiche ?" Moi : "oui, ça sera l'occasion de me servir de tous ces couteaux qu'on m'offre". Car on m'avait offert deux couteaux coup sur coup : Louise en décembre 2010, pour Noël, un couteau suisse comme je n'en avais plus manié depuis mon enfance, le couteau à tout faire, le couteau de Mc Guyver. Ma tante en avril 2011, un Laguiole qu'elle m'avait ramené pour mon anniversaire de son voyage dans l'Aveyron, sur les traces de nos ancêtres huguenots, un très beau couteau à manche en bois, avec mon nom gravé sur la lame : Jérémie. 

Le couteau en question, le vrai, n'a rien à voir avec un couteau de peintre, qui n'est qu'une petite truelle trop souple et ridicule, pour caresser la peinture. Non, si je veux puiser l'aquarelle dans mes godets, si je veux continuer à tracer des lignes, à rester du côté du dessin, c'est le couteau des prolos qu'il me faut, le couteau qui sert à couper le sauciflard, le couteau qui sert à étaler les rillettes... Le couteau qu'on tenait dans sa poche, contre sa cuisse, la nuit, quand nos rues n'étaient pas si tranquilles... 

ile bleue

Je n'exposerais pas le premier essai, réalisé dans la plus grande sauvagerie, un vrai désastre, le papier déchiré, les couleurs raclées, le paysage inconsistant, défiguré. Mais voici les deuxième et troisième tentatives. ça se passe au bord du Rhône, à l'aube, à l'heure où tout est bleu... C'est un motif qui m'attire depuis des mois : un bouquet d'arbrisseaux qui poussent sur un petit îlot de rien du tout, un de ces nombreux îlots que forment les lônes du Rhône... J'y vais en vélo, dépose le vélo sur la berge, sors tout mon attirail.... Me tiens debout pour peindre, jambes écartées, buste droit, la main droite tenant le laguiole pour la peinture, un pinceau pour le lavis... trempe le couteau dans le godet resté humide toute la nuit, l'aquarelle forme une pâte indigo, presque noire, sur la pointe du couteau, l'eau dégouline le long de la lame, j'entaille la page et ça prend tout de suite, à mon grand étonnement, le couteau trace des sillons sur la feuille, l'accident, le hasard, l'incontôlable me dominent, j'ai la sensation pour la première fois, comme disait mon prof de dessin, de lâcher la culotte en zinc... Elle glisse à mes pieds la culotte, je suis tout nu face à la nature, face à ce mur du paysage dans lequel je taille à vif mon petit passage.... je me contorsionne, je danse, sautille, me trémousse dans l'ivresse de peindre, je caresse le grain du papier sans regarder, le carton à dessin contre l'épaule, le petit paysage indigo format A4 tourné face au paysage grandeur nature, ombres et reflets se  et quand le soleil se lève enfin, je me lève aussi, attends quelques minutes que ça sèche et glisse le tout dans mon sac à dos, puis reprends mon vélo. Je peux rouler tranquille, je peux grimper au lac d'Ambélon, me baigner dans mon cuissard de cycliste, je me sens libre, heureux, je respire enfin, je traverse des parois d'ozone pur, je chante sur mon vélo comme un idiot, l'impression d'avoir trouvé mon outil, ma manière, mon rythme, un second souffle... je sais que le chemin sera encore long vers l'épure mais les voies de traverse se raréfient, les tentations se dispersent, l'horizon se dégage, la lame me montre la voie, j'accepte pour quelques mois l'alliage ascétique du monochrome indigo et de l'acier qui tranche, entaille, ne fait pas dans la dentelle victorienne qui est la mauvaise pente, mais la pente naturelle, de l'aquarelle.

    

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