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l'araignée givrée
3 mars 2024

La péninsule des femmes

Je voulais rouler jusqu'à l'Océan, le vrai, pas la mer du Japon, la mer de Chine orientale, la mer intérieure ou l'une de ces multiples baies qui se glissent entre les îles. Et comme je suis en train de lire "La péninsule aux 24 saisons" de Mayumi Inaba, très beau "nature novel" à la japonaise, histoire d'une femme qui décide de quitter Tokyo pour renaître sur la péninsule de Shima, j'ai sauté à 7h du mat' dans un train pour Ise avec l'idée de suivre la côte au pixel près jusqu'au cap Daio, où un grand phare blanc se dresse à l'aplomb des falaises. En chemin, petit détour par les sanctuaires d'Ise où pèlerins et touristes viennent admirer un temple tout neuf (on le reconstruit tous les 21 ans) entouré de palissades qu'il est interdit de photographier - s'y trouverait depuis 2600 ans le fameux miroir de la déesse Amaterasu, ce qui en fait le sanctuaire shintô le plus vénéré. Passage obligé aussi aux rochers mariés que relie une corde shirakawa, où les couples viennent en nombre se faire tirer le portrait. Le vrai voyage peut alors commencer, loin des must-see des guides touristiques. Toute la presqu'île sentait l'huître grillée car c'est pour se gaver de fruits de mer que la plupart s'engagent sur la route de la perle, laquelle s'entortille le long de la côte, ponctuée de gargotes en plein air où les sacs de coquilles vides s'entassent pour former des murets. J'ai donc avalé moi aussi ma demi-douzaine avant de repartir vers le sud sur l'ancienne route que plus personne ne prend tant elle zigzague à flanc de falaises sous les fougères, les camphriers et les camélias. J'espérais croiser une de ces fameuses ama, sirènes du Pacifique qui plongent en apnée depuis des siècles en quête d'oursins, d'ormeaux et de perles et qui ont nourri tant de fantasmes, des élucubrations graveleuses de Hokusaï (la femme du pêcheur broutée par le poulpe) aux photos seins nus de Fosco Maraini. J'ai fini par les trouver, les sirènes, elles avaient juste un peu vieilli sous leurs bobs et leur visage cuivré, ridé, tavelé, ressemblait à celui de ces rascasses que l'on achète sur le Vieux-Port pour faire la bouillabaisse. Il paraît qu'elles plongent jusqu'à 90 ans.

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