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l'araignée givrée
2 mars 2024

Grèce & Japon

Je ne me lasserai jamais du bleu qui est à la fois la couleur la plus chaude et la plus froide de l'arc-en-ciel. Avec un seul bleu - bleu turquoise d'un feutre de calligraphie Pentel - je peux dire mille nuances de l'air, de la chaleur quasi tropicale d'un îlot de la mer intérieure au froid quasi polaire d'un volcan enneigé de Hokkaido. J'ai longtemps peint en indigo mais l'indigo est trop sombre pour saisir la lumière intense de l'archipel. Ce que j'aime le plus dans les paysages japonais, c'est cette sensation d'un horizon infini quand bien même il est toujours clos : je suis fasciné par ces multiples strates de bleu qui s'enchevêtrent à l'horizon car il n'y a jamais une seule île ou une seule montagne à l'horizon mais toujours un arrière-plan derrière l'arrière-plan, car une île en cache toujours une autre, une montagne en cache toujours une autre, et bien que le pays ne soit pas très grand cela confère une sensation - illusoire certes - d'immensité, de fuite permanente, alimentant le désir d'aller toujours plus loin. Lisant les notes de voyages de Nikos Kazantzakis au Japon (1935), ce qui me frappe, c'est la justesse de son regard, comme s'il fallait venir d'un autre monde bleu, d'un autre archipel - et même de l'Archipel par excellence, Aegeon Pelagos, matrice de tous les archipels - pour comprendre un peu le Japon, cette "Grèce lointaine toute bleue". Qu'il décrive la traversée de la mer intérieure jusqu'à Kobe, les sanctuaires de Nara, les jardins zen, le théâtre nô ou l'art pictural des Kano, il parvient toujours, avec son style naïf et exalté, à la Henry Miller, à toucher en plein dans le mille. C'est peut-être cela que sont venu chercher tant de voyageurs au Japon : une Grèce lointaine, plus orientale et plus complexe que la Grèce, mais qui comme la Grèce a des îles, des mythes, des dieux, des rites, des héros, des masques et des mystères, une autre source possible de l'histoire et de la civilisation, "un monde d'une essence plus profonde", comme il l'écrit à propos du kabuki. On se prend alors à rêver d'une autre histoire de l'humanité, qui n'aurait pas commencé au bord de la mer Égée, mais au bord de la mer intérieure.

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