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l'araignée givrée
15 décembre 2023

Ainsi surgit le mont Fuji

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On passe l'après-midi à tâtonner, on essaie tout ce qu'on a acheté, le papier washi, le papier machi, le papier gasenshi qui est un mélange des deux, le papier ordinaire, le Daler & Rowney auquel on est habitué, l'aquarelle Winsor & Newton qu'on a emportée et qui bave trop sur les papiers japonais, les feutres Kuretake, Tombow, l'aquarelle japonaise avec pigments spéciaux, qui est quelque part entre la gouache et l'aquarelle britannique, on élabore ses nuanciers, rangeant les godets comme des bonbons, on se défoule comme on peut, rien ne marche, le papier se déchire, la couleur est trop terne, les pinceaux à poil de chèvre trop rêches, on est sur le point de tout abandonner, et puis on ressort sa vieille lame, son bon vieux laguiole et sa couleur fétiche, l'indigo, on trace d'un seul coup la première image qui nous vient en tête, ce triangle qui est peut-être la forme la plus récurrente de l'empire des signes, triangle des îles, des pagodes, des volcans, des chaumières, des feuilles de ginkgo, des éventails, du Mont Fuji bien sûr, on balance quelques coups de feutre de calligraphie bleu turquoise, un peu d'eau dans laquelle il faut bien avoir confiance, et là quelque chose se passe, l'eau opère sa magie, la journée n'est pas complètement fichue. Ce qui fascine dans le Fuji et qui vous reste longtemps en tête, c'est la monumentalité pyramidale de ce cône qui se dresse, isolé, à quelque pas de la mer, parmi les rizières. Il me fait penser à ces portraits de notables du XVIIe portant autour de leur cou ces fraises bien blanches. Oui, il y a sur les pentes du Fuji San ces ombres que dessinent les coulées de neige et qui donnent tout son relief à ce cône de blancheur comme les plis et les dentelles d'une fraise mettant en valeur le bleu du ciel, visage du Japon l'hiver. Il faudrait repasser tous les jours en Shinkansen pour voir la progression de jour en jour de cette fraise de neige au cou de la montagne. Je pense aussi à la fascination, dans le Rivages des Syrtes, du jeune Aldo pour le Tängri, ce volcan qui symbolise le Farghestan, c'est-à-dire le Far East et je songe à ce qu'un Julien Gracq aurait écrit sur le Japon, ce volcan.

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