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l'araignée givrée
9 août 2014

rebel without a cause

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Qu’est-ce qu’un rebelle ?

 

On pourrait attendre d’un rebelle qu’il prenne toujours à contre-pied la société dans laquelle il lui est donné de vivre et qu’il paie le prix de son audace par une mise en quarantaine.

Mais le rebelle à l’ère de la médiocratie n’aime pas l’ombre et fuit le silence ; chaque semaine qui s’écoule sans qu’on parle de lui l’effraie ; il a peur qu’on l’oublie déjà comme un effet de mode passager, comme une tocade printanière dont se piquaient les Madame Verdurin du moment.

Un rebelle est un homme qui dit NON.

On pourrait s’attendre à ce qu’il dise NON au gouvernement, non à la guerre au Mali, non aux frappes américaines en Irak, non à la diplomatie de la canonnière, non à la guerre qui vient.  Il pourrait aller pisser sur  le perron d’une mairie FN, il pourrait dézinguer une plaque au nom d’Adolphe Thiers, amocher une statue du maréchal Foch, troubler une cérémonie de commémoration du grand revival de 14-18 qui occupe notre inaugurateur national des chrysanthèmes à plein temps. Il pourrait écrire au ministre des affaires étrangères et lui dire sa façon de penser sur un dossier d’actualité où la France joue son honneur. Il pourrait détruire des caténaires, détourner un TGV, occuper une base militaire, jouer le coup de poing contre les fachos qui investissent nos métros.

Non, il se contente de dire : non, je n’irai pas à Blois.

Il aurait pu dire non à tous les journalistes qui sont venus le draguer, à tous les plateaux télé qui l’ont invité, à tous les libraires qui l’ont sollicité, à tous les prix littéraires qui ont fait de lui un candidat possible.

Non, il se contente de dire : non, je n’irai pas à Blois.

Il aurait pu dire NON ne faites pas de moi la coqueluche 2014, l’événement littéraire de la rentrée, la mascotte des lettres françaises à l’ère du mariage pour tous. Il aurait pu leur dire : non, ne faites pas de moi la bonne conscience du moment.

Non, il se contente de dire : non, je n’irai pas à Blois.

Non, il se contente de dire non je n’irai pas débattre mais c’est pour mieux faire parler de lui.

Car il ne se contente pas de le dire, il le clame sur tous les toits, il contacte un grand quotidien, il s’offre une tribune, il se fabrique un joli coup de pub dans un journal on ne peut moins rebelle et qui a pignon sur rue.

Il transforme son refus en pétition, il exige le boycott et la démission, il embrigade toute une ribambelle d’écrivains et d’artistes qui voulaient inscrire leur nom une nouvelle fois dans un journal mais qui n’ont aucune idée de ce qu’est l’histoire : des chanteurs jadis à la mode, des auteurs de best-sellers pseudo-historiques, etc.

Alors la grande entreprise d’escroquerie et de diabolisation continue.

Bourdieu aurait pu refuser, Foucault aussi, mais on ne les aurait tout simplement pas invités : ils détestaient cordialement Marcel Gauchet.

Mais savez-vous qui était Marcel Gauchet, Edouard Louis ? Qu’est-ce qu’on lit sur votre blog, Edouard Louis ? Que Marcel Gauchet n’a jamais été un rebelle. Certes, mais faut-il être un rebelle pour parler des rebelles ? Mais l’homme issu d’un milieu populaire, l’homme qui a grandi dans une France encore paysanne, cet homme a été un intellectuel de renom. Avez-vous lu son édition avec Miguel Abensour du Discours de la servitude volontaire paru en 1976 ?

Marcel Gauchet ou Pierre Nora – car c’est aussi lui, le créateur du Débat qui est visé derrière tout ça – tout de même, ce n’est pas Finkielkraut ou BHL ! Ce n’est pas Alain Soral ou Renaud Camus !

Que vous vous alarmiez de ce qu’il est devenu, on le comprend, et vous avez raison : l’homme – à l’image de toute la société française – s’est droitisé car il a vieilli : tout le monde n’a pas la chance d’être Victor Hugo,  tout le monde n’a pas la force de grandir à l'extrême-droite et de vieillir à l'extrême-gauche. Mais vous grossissez les traits, vous nous faites prendre des vessies pour des lanternes :

« Tout ce que la France compte de réactionnaires » : entendez par là Jean Clair, Régis Debray, Alphonse Dupront, Nathalie Heinich. Ajoutons les auteurs traduits : K. Pomian ou Raffaele Simone, auteur d’un livre qui emprunte son titre à Tocqueville mais interroge le grand virage à droite de la civilisation occidentale.

Franchement il y a plus réactionnaire que ces auteurs, vous le savez.

Et vous à quel titre étiez-vous invité ? Qu’y a-t-il d’historique dans votre roman ? La peinture à la Zola d’une réalité largement transformée ?  Vous savez, il y a des tas d’historiens, de sociologues, de philosophes en France qui font honnêtement leur métier et qui n’ont pas été invités.

Je comprends votre peur d’être récupéré mais je regrette votre refus, Edouard Louis : c’était l’occasion unique de leur dire tout haut ce que vous pensez tout bas, ce que vous écrivez si bas.

C’était l’occasion unique de vous mesurer à leur pensée, de jouer le jeu de l’altérité, de refuser l’anathème facile.

Alors monsieur le rebelle, vous avez perdu une occasion de vous taire en nous apprenant que vous n’irez pas à Blois, car dans le fond, on préférait vous lire et vous croire honnête et sincère.

Mais finalement toute cette histoire en dit long sur le marigot littéraire dans lequel nous pataugeons depuis plusieurs années. Nous avons les rebelles que nous méritons : d’un côté des vieillards à la pensée nostalgique et chagrine qui confondent révolte et réaction, de l’autre des gamins qui veulent se faire mousser, qui ruent dans les brancards des festivals et les colonnes des quotidiens en se prenant pour Saint-Just, un Saint-Just qui n’aurait dans son arsenal rhétorique que des pétards mouillés. 

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