Se réveiller avec le soleil levant, descendre vers la mer le ventre vide à la recherche d'un café ouvert, regarder la ronde des pêcheurs en combinaison de toutes les couleurs s'affairant autour des caisses où sont rangées les bonites, tandis que les familles attendent leur poisson sur le quai, sous l'œil d'une femme qui enregistre les transactions, c'est un des charmes de passer la nuit à Naoshima où les plus vieux métiers du monde cohabitent avec le business artistique dernier cri. Comme pour presque tous les musées japonais, on verra peu de photos des œuvres exposées puisque nos prothèses sont interdites et doivent êtres déposés dans des sacs transparents. Dans un premier temps, il faut faire abstraction de l'architecture de béton carcérale dessinée par Tadao Ando et ne pas trop se demander comment a pu germer l'idée d'enfermer des Nymphéas dans un bunker. Des employées en blouse d'infirmière excellent ici dans l'art de ranger les gens 2 par 2 et de gérer les foules mais on comprend peu à peu que tout cela est voulu pour notre bien dans ce musée conçu comme un temple souterrain, qui ne défigure pas le paysage et n'obscurcit pas l'horizon. Mieux vaut commencer par les œuvres contemporaines avant de faire un retour vers les Monet, ici placés dans le saint des saints. On vous fait chausser des savates blanches, vous marchez sur 700000 dés de marbre de Carrare qui rappellent le gravier blanc des jardins zen et vous vous avancez vers les 5 Nymphéas éclairés naturellement par le puits de lumière, les murs de plâtre et les cadres en marbre de Thassos. Sans appareil photo, sans téléphone, sans connection, les gens prennent ici le temps de regarder. Rien n'empêche le regardeur de s'approcher au plus près de la toile incrustée dans le mur et protégée par une vitre, aucune barrière, aucun bip. Dans le calme et le silence, on peut vraiment entrer dans la couleur, plonger dans les Nymphéas, devenir nénuphar, iris, agapanthe, saule pleureur, suivre chaque coup de pinceau, s'imprégner de chaque nuance de vert, de bleu ou de violet, s'extasier devant la touche douce ici, là démente du peintre et c'est comme si les Nymphéas étaient rendus à leur vraie patrie.