C'est toujours un inconvénient pour un pays de se trouver trop proche de la Russie : voici la phrase d'une amie polonaise qui tournait en boucle dans ma tête sur les 15 derniers km de cette virée qui en comptait 173. Le soleil venait de se coucher là-bas sur l'empire de Poutine et il n'y avait plus rien, dans la nuit japonaise, pour contrer les vents déferlant de Sibérie. La batterie des gants chauffants était épuisée, les couvre-chausse ne faisaient plus leur effet, je sentais bleuir mes doigts et mes orteils, et je repensais aussi à une phrase de Pierre Loti dans laquelle il dit que le Japon est un archipel tropical qui a dérivé vers la Sibérie. S'il avait choisi au contraire de dériver vers la Californie, il y ferait chaud toute l'année mais ce n'est pas le cas et les Japonais faisant comme toujours contre mauvaise fortune bon cœur, se sont acclimatés à la situation en élaborant autour de cette situation géographique - qui nous valait 20° il y a quelques jours et 2° tout à l'heure - toute une philosophie des saisons (il y en aurait même 72). Les Japonais sont peut-être les seuls (avec les Afghans) à avoir battu les Russes à une époque récente, ils ne battront jamais les vents sibériens et on dirait même qu'ils s'en accommodent, qu'ils les laissent hurler, les vents fous, si bien que l'hiver, où que vous soyez, dedans, dehors, vous aurez froid mais personne n'a eu l'idée de s'en plaindre ou de s'en protéger. À l'aller, il faut dire qu'ils étaient bien pratiques ces vents, puisqu'ils nous ont propulsé de Kyoto - la seule ville millionnaire du monde, peut-être, où vous verrez des daims gambader dans une rivière - à Wazuka où les théiers s'étagent comme des vignes en terrasses, formant de petits murets parfaitement taillés, d'un vert sombre et dense, épousant les courbes de niveau, jouant avec l'ombre des nuages, reflétant les rayons du soleil de leurs petites feuilles lustrées et doucement amères (j'en ai mâché une à la volée, espérant qu'elle m'apporterait contre le froid l'énergie de la coca péruvienne). On se demande quand même comment toute cette végétation subtropicale résiste depuis tant de millénaires à ces foutus hivers !