À Kyoto, la ville est nichée dans la montagne et la montagne est nichée dans la ville. Une de mes balades préférées, lorsque j'ai la flemme de descendre en ville, c'est celle qui part de la Villa Kujoyama, passe entre les statuettes de renard du sanctuaire shintô Himukai Daijingu, un des plus vieux de Kyoto, grimpe vers le Daimonji et dévale la pente vers le Nanzen-ji. Il y a là, le long du Kyoto trail où je n'aurai croisé aujourd'hui qu'un Occidental faisant son footing, de belles vues sur la ville, des rochers, des stèles et des pierres tombales, des lieux de culte étrange, au fond d'un ravin ombreux, subsistant parmi les mousses, les feuilles mortes et les fougères, au pied des camphriers, des cyprès et des cryptomères. Quelques planches de bois enjambent le torrent, des marches de pierre mènent à une grotte aménagée comme un autel avec des bâtonnets d'encens, un pavillon miniature qui tient de la cabane d'enfant est juché sur un roc, un filet d'eau perle au-dessus du précipice, une échelle en bois permet d'accéder à la statuette d'une sorte de kami ailé au bec de perroquet qui terrasse un fauve entre deux vases de chrysanthème, une sorte d'abri rudimentaire pourvu d'une banquette en bois et d'un rideau vert est indiqué comme la retraite d'un ascète ("Saint Dojo") qu'on ne peut pénétrer qu'à condition de pratiquer le "Taki Gyou", toutes les pierres sont gravées de kanjis, on traverse un ponton rouge qui franchit le ravin et on débouche sur l'Oku-no-In et plus loin sur la foule du Nanzen-ji. Pendant 2 heures on s'est retrouvé seul avec les kamis, Indiana Jones à 2 pas de la Villa et de la ville, dans un monde encore un peu sauvage et complètement hanté. Ici, dans la ville aux 13 millions de touristes, il y a encore des lieux où les touristes ne vont pas et où les dieux sont restés.