Onze jours que je suis au Japon et je n'ai toujours pas vu la mer ! L'idée que je me faisais de l'archipel, où la côte serait infinie, incommensurable le nombre d'îles, est en train de céder devant l'image d'un pays où la pente est infinie, incommensurable le nombre de cols, de torrents, de lacets. Je ne sais pas si c'est le biais du cycliste, du neo-Kyotoïte, ou une simple réalité qui me ramène à l'une de mes premières lectures japonaises, et l'un de mes premiers émerveillements cinématographiques : "la ballade de Narayama", le roman de Fukazawa, le film d'Imamura : "aux montagnes succèdent les montagnes, où qu'on aille, ce ne sont rien que montagnes", c'est l'incipit de ce chef d'œuvre et ce sera l'incipit de mon initiation au Japon. Les montagnes sont partout au Japon et dans la littérature japonaise, peut-être plus présentes encore que les îles, les presqu'îles et les baies. Et la montagne au Japon est un monde âpre, sauvage, sacré, froid, austère, peu peuplé, où l'on peut rouler pendant des heures dans un paysage quasi alpin alors qu'on n'est pas au-dessus de 1000m sans croiser âme qui vive à part un renard qui s'enfuit dans la forêt d'automne, la forêt couleur de renard. 140 km au compteur aujourd'hui, 2560 m de d+, de nombreux cols dont le plus haut culmine à 810 m à seulement 20 km de Kyoto, des barrages, des gorges, des sanctuaires encadrés de torii rouges et de ginkgo jaunes, des chaumières étagées à flanc de coteau, des hêtres et des érables furieusement pourpres, des cryptomères qui me rappellent, avec leurs troncs très droits qui dévalent la pente, les forêts des Carpates, et une descente vertigineuse, glaciale et crépusculaire vers cette vieille capitale d'où les empereurs, loin de là mer, croyaient peut-être pouvoir contrôler le centre de l'archipel et amadouer les dieux des montagnes. Merci à Richard, Koji, Andrew et Esben pour ce ride international.