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l'araignée givrée
17 juin 2015

regarder l'Europe geler

Sopron-Hongrie-le-27-juin-1989

 

Même ceux qui ne pouvaient imaginer la Muraille sans les nomades se demandaient parfois si c’était bien la présence de ceux-ci qui avait incité à son édification ou si ce n’était pas au contraire la Muraille qui, en se dressant à la frontière, les avait attirés.

Ismaïl Kadaré, La Grande Muraille, 1993, p. 13-14.

 

 

Cette photo a été prise il y a vingt-six ans quasiment jour pour jour, le 27 juin 1989, lorsque le ministre des Affaires étrangères hongrois, Gyula Horn, et son homologue autrichien, Alois Mock, coupaient ensemble une partie du rideau de fer dans la ville de Sopron en Hongrie. Des milliers d'Allemands de l'Est, venus essentiellement de Prague, affluèrent alors en Hongrie dans l'espoir de rejoindre leur pays. Moscou ne réagit pas.

Les Hongrois ont la mémoire courte, et la vue plus courte encore, qui sont obsédés pourtant par le vingtième siècle et le traité de Trianon qui rogna les espoirs de grande Hongrie. D'ici, de Voïvodine (république autonome serbe où le hongrois est une des cinq langues officielles, car la minorité magyare encore très présente) - oui, d'ici où l'été s'annonce comme une longue canicule, on regarde l'Europe geler. On écoute la radio. On apprend que le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijarto, vient d'annoncer que Budapest érigera une clôture de quatre mètres de haut le long de la frontière de 175 kilomètres qui sépare la Hongrie unionesque de la Serbie d'outre-union. Pour stopper dans leur élan les Kosovars, les Afghans, les Syriens et les Irakiens qui tentent tous les jours de gagner l'Europe à travers ces Balkans qui en sont le coeur, comme disait Nicolas Bouvier, mais qui, dans l'Histoire, n'ont jamais eu que la place des pieds, ces pieds qu'on piétine, qui puent, s'infectent, avec lesquels on marche, quand on vient d'Asie, ou du fin fond de l'Europe, pour fuir la guerre et devenir libre.

Quatre mètres de haut ! Petits joueurs, les Hongrois, qui en sont restés, dans leur tête, au rideau de fer que leur ministre allait couper autrefois, à coups de tenailles ! Prenez exemple sur les Israéliens, messieurs les Hongrois ! Dressez un mur de béton de neuf mètres de haut avec des miradors, des barbelés, et tout le tintouin, ça ça aurait de la gueule, bande de mauviettes de néonazillons ! Votre ligne des glaces ne fera qu'aviver la passion des passe-muraille serbes, qui rivaliseront d'adresse avec vos gardes-frontières et qui vous feront de jolis trous dans votre macramé d'Européens pourris.

Qui a dit que le rideau de fer ne reviendrait pas ? Qu'avons-nous gagné en vingt-cinq ans de lutte, sinon de petites baronnies revanchardes comme ce moignon de la Hongrie historique, qui n'en finit pas de raviver les vieux démons du vingtième siècle ? De combien de kilomètres avons-nous repoussé l'empire du prétendu monde libre ? Il y a des jours où j'aimerai demander à une cigogne, combien d'heures y a-t-il, à vol d'oiseau, de Soprun, où j'apprends qu'il y a un musée du rideau de fer à Subotica, ou le rideau de fer ne sera pas un musée mais l'avenir de l'Europe ?

Merde à cette Europe qu'on fait sans nous et qui nous déshonore chaque jour !

Relisons Kadaré qui avait compris, lui, où irait l'Europe qu'on nous trafique à coups de murs !

Au passage, un peu de lecture sur le web pour aller plus loin :

http://www.mediapart.fr/portfolios/des-migrants-pied-et-velo-dans-la-traversee-maudite-de-la-macedoine

http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/International/2015/06/17/002-mur-hongrie-serbie-frontiere-ferme.shtml

Commentaires
C
Nous avons tous la mémoire courte, hélas. Merci de nous la rafraîchir grâce à votre analyse = je n'avais pas fait le lien avec ces années noires...
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