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l'araignée givrée
19 avril 2013

kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu

 

Kaddish

http://www.editionsdusonneur.com/livre/kaddish-pour-un-orphelin-celebre-et-un-matelot-inconnu-emmanuel-ruben/

paru le 23 mai 2013 aux éditions du Sonneur

4e de couv :

Deux hommes, une nuit de l’été 1957, en pleine guerre d’Algérie. Ils ont le même âge, sont nés dans la même région. Le premier, orphelin de père, vit loin de la géhenne coloniale. Il sait manier les mots : ses phrases sont comme des coups de poing. Le second, ancien matelot, est un homme plongé dans la misère et la violence du temps. Le premier s’appelle Albert Camus. Le second est le grand-père du narrateur. Ils sont « frères de bled et de tourment ». Emmanuel Ruben, né en 1980, déploie dans ce deuxième roman une interrogation profonde, souvent poignante, sur les liens entre la France et l’Algérie, et montre ce qui, des morts, demeure infiniment vivant en nous.

 

 

 

extrait

[...]

Comment ? C'est ainsi que tu es trop tôt parti ! PAN, à bout portant. D'un seul coup de feu. Qui ne m'aura pas laissé le temps de te connaître. Mais qui résonne encore – PAN, à bout portant – dans la nuit. J'ignore s'il m'est permis de te tutoyer ; je pourrais ne pas m'adresser directement à toi, ne dire ni tu ni vous, les laisser parler, eux, les aînés, ceux et celles qui t'ont vu de leurs yeux vu. Seulement, eux se taisent, elles se taisent, et c'est ce silence, cette chape de plomb que je souhaite entailler. Je sais que mieux vaudrait me taire à mon tour, respecter des morts au moins le silence, la boucler pour de bon, te rejoindre en tes ténèbres. Comme chacun de nous je présume, j'en ai l'ivresse les nuits d'insomnie, les nuits sans oubli, les nuits où l'on voudrait que le monde s'arrête, qu'un séisme ouvre la terre, que les murs tuent. Seulement, tu m'as visité en songe trop souvent ces nuits-là, nous avons guetté trop d'aubes côte à côte, je me suis senti trop de fois envahi par ton regard noir, vieillissant sous tes rides, pour qu'il me soit permis de continuer à t'ignorer ainsi, l'air idiot, sans souffler mot. Tu serais bien étonné de l'apprendre : tu te dis peut-être, depuis ta terre à toi, que tu n'es rien pour moi, rien pour ceux de notre temps. Mais sois rassuré. Tu ne seras pas un personnage.Pas une troisième personne entre mon lecteur et moi. D'où ce tu que je veux te donner, d'où ce monologue que sur du papier je veux t'adresser. On ne réveille plus aujourd’hui le grand Il des légendes dans son tombeau blasonné d'ablatifs absolus. On a fini d’épousseter sa momie bandée de supins, de parfaits. On ne saurait la rhabiller des vieux oripeaux ni la faire danser comme on le fit jadis, avec masque ou perruque. Devrais-je te maquillersous les fards fadasses d'un antihéros de ton temps, sans visage, sans origine, sans caractère, sans prénom mais affublé d'un drôle de patronyme bien parlant, un truc du genre Meursault, Tarrou, Clamence, dont on se souvienne ? Devrais-je te faire comparaître à la barre de la mémoire familiale et façonner avec tous ces témoignages contradictoires un petit sarcophage polyphonique ? Mais tu ne fus pas un héros, ni classique, ni romantique. Ni moderne. Non plus qu'un antihéros. Non plus qu'un martyr. Rien qu'un homme parmi d'autres hommes, qui les valait tous et que tous valaient. Un père, oui, un père quatre foispère mais seulement quatre anspour maman. Un grand-père jamais. Un inconnu. Un étranger.

Tu ne seras pas non plus l'alibi d'un roman. Tu n'as pas laissé suffisamment d'indices derrière toi pour que puisse s'élever à la place d'une tombe introuvable ce genre d'échafaudage amidonné. Et, sij’ai la force d’aller jusqu’au bout, ce récit sera la confession de ma petite ignorance, la confession de celui que tu n'auras jamais connu, qui ne sait que ton nom, ton prénom, ton visage héliogravé, ton écriture tortueuse, la date de ta mort, puisque le vrai motif en demeure incertain. Je ne réécrirai pas ta vie; je ne t'inventerai pas la vie qu'à moins de cinquante ans ce grand PAN à bout portant t’a arrachée. J'ai quitté les bancs de l'école, j'en ai fini avec les injonctions du genre rédigez la suite ou le début de l'histoire ; je n'aurai pas pour but de poursuivre une vie inachevée ni de ressusciter un personnage dans sa chair et sa durée.

[...]

 

 

Commentaires
A
Superbe livre lu d'une traite.<br /> <br /> Belle plongée dans les eaux sombres d'une Algérie et d'une "tribu" blessées...qui étonnamment nous conduit vers la lumière. <br /> <br /> Merci, Agnès
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R
J'ai appris la parution de ton livre en début d'après midi, ma libraire l'avait en rayon, je l'ai acheté et l'ai lu d'un trait sans pouvoir m'en détacher un instant. A l'évocation de certains souvenirs ma gorge s'est nouée. Bravo d'avoir réalisé et pu réaliser un tel exercice.
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